POINT DE VUE

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La francophonie passe par l'Europe

par Xavier Darcos

LE MONDE | 19.03.05 | 14h48

On s'en alarme à juste titre : en Europe, le français est souvent sacrifié à la tentation du tout-anglais, du moins de cette sorte de novlangue qu'on pratique dans les échanges internationaux. Il fut un temps où l'Europe parlait français. Ce n'est plus le cas. Pour autant, l'objectif n'est pas d'engager une compétition avec l'anglais.

Il est bien que l'Europe élargie tire le meilleur parti de son pluralisme linguistique. Cela vaut pour le français comme l'allemand, l'espagnol ou l'italien, avec qui nous avons partie liée. Au moment où 180 millions de francophones célèbrent, sur cinq continents, la Journée internationale de la francophonie, je voudrais partager avec eux quelques perspectives encourageantes. Face à la menace d'un monolinguisme insipide, l'adhésion à la diversité des cultures et la reconnaissance des identités se raniment partout. La variété des langues appartient à l'identité même de l'Europe. Le projet de Constitution l'affirme : l'Union "respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique".

Nous attendons de l'Europe que cette pétition de principe ne soit pas lettre morte. C'est son intérêt, car, dans ses relations avec le reste du monde, elle a besoin du respect des identités et du dialogue des cultures comme facteurs de paix. En se mobilisant pour la diversité culturelle, elle donne sa chance au français, qui en est un vecteur essentiel. Aussi les 63 pays de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) ont-ils inscrit la promotion du français et la préservation de la diversité culturelle dans leur "cadre stratégique".

Reste que la vigilance est nécessaire. Le recours au seul anglais a beaucoup progressé depuis l'élargissement de 1995. Celui de 2004 devrait accentuer cette tendance. Les Français s'en inquiètent et ne se reconnaissent pas dans une Europe exclusivement anglophone. Je voudrais donc les rassurer. Nous disposons d'atouts remarquables pour promouvoir nos idées : l'OIF, qui a su prendre en compte les évolutions technologiques et lutter contre la fracture numérique ; un vecteur audiovisuel, avec la chaîne TV5 ; un réseau universitaire très dense, mis en valeur par l'Agence universitaire de la francophonie.

En 2002, la France a élaboré, avec le Luxembourg et la Communauté française de Belgique, un plan pluriannuel pour former au français les diplomates et fonctionnaires des nouveaux pays adhérents, ainsi que ceux de la Bulgarie et de la Roumanie. Leurs représentants sont appelés à siéger à Bruxelles dans des groupes de travail le plus souvent sans interprètes. Ce programme connaît un réel succès.

Le plan comprend une veille des sites Internet et la mise à la disposition de toutes les institutions européennes d'un logiciel d'aide à la rédaction administrative en français. La France le complète par des stages intensifs de français pour les nouveaux commissaires, les directeurs généraux et les juges qui le souhaitent. Il faut le dire clairement, à quelques semaines d'un référendum décisif : l'Europe est pour le français un facteur de rayonnement international.

La diversité culturelle est aussi au cœur de notre action en 2005. Nous sommes engagés, à l'Unesco, dans la négociation d'une convention pour la protection de la diversité des expressions culturelles et artistiques. Dans un monde où la culture peut se réduire à de simples divertissements, cet enjeu revêt une importance considérable : soit on continue à soutenir la production et la diffusion d'œuvres culturelles, soit on les abandonne aux seules règles cyniques du marché.

Enfin, le ministère des affaires étrangères développe des actions de coopération culturelle et de promotion de la langue grâce à un réseau de 151 établissements culturels et de centaines d'Alliances françaises, qui enseignent notre langue à 400 000 étrangers. S'y ajoutent 6 000 agents de coopération, plus de 400 établissements scolaires à l'étranger, qui accueillent 240 000 élèves. Ce sont autant de vecteurs de la langue française.

Donnons-nous rendez-vous, dans un an, à l'ouverture du Festival des cultures francophones. De mars à octobre 2006, la France accueillera des artistes, des écrivains et des scientifiques de tous les pays francophones pour célébrer, dans leur diversité, les saveurs et richesses de la francophonie, toujours recommencée.

Xavier Darcos est ministre français délégué à la coopération, au développement et à la francophonie.

ARTICLE PARU DANS LE MONDE DATE DU DU 20-21.03.05