D'Alain Schneider
Maman,
Ce n'est pas facile de te dire adieu une dernière fois, même si avant ton départ définitif, nous avons pu en pleine lucidité te dire notre gratitude et te rendre hommage pour ta vie.
Tu es partie avec le sentiment du devoir accompli et c'est vrai que ce sens du devoir avait marqué les orientations de ta vie, que tu as su bâtir avec courage et persévérance : quand tu décidais de t'engager, ce n'était pas à la légère, pour le meilleur et pour le pire. Et les "bonnes actions" étaient pour toi une préoccupation sur laquelle tu organisais tes heures, tes journées, tes mois.
La mort à 4 ans de ton petit frère Jean-Claude avait été un grand choc pour la grande soeur de 6 ans que tu étais. Ton adolescence en temps de guerre n'avait pas été facile et la disparition tragique de ta maman quand tu avais dix-sept ans a été un drame qui t'a profondément marquée. Vingt ans plus tard, la disparition prématurée de ton frère Jean-Pierre t'a à son tour beaucoup frappée.
Tu as donné à la famille que tu as fondée tout ton engagement, au service de ton mari et de tes enfants. Tu as aidé Jean à faire vivre l'entreprise qu'il avait héritée d'une tradition familiale de plusieurs générations. Tu as transmis à tes enfants les outils permettant de construire une vie.
Ton engagement aux côtés de Jean a permis de refonder pour 40 ans l'imprimerie familiale, l'adaptant aux exigences des années 60 et 70. Tu as pris en charge la gestion administrative et comptable de l'entreprise, même si ton travail aux côtés de Maurice Dollfus, chez Ford puis à l'Union industrielle transatlantique, t'avait fait faire tout autre chose. Grâce à toi, Papa a pu travailler comme il le souhaitait jusqu'à sa retraite.
Ton sens du devoir, du travail bien fait et de la tolérance, tu l'as transmis également à tes enfants. Et nous sommes largement ce que nous sommes grâce à ce bagage moral et intellectuel que tu nous as permis d'acquérir.
Nous ne devons pas oublier ton attachement très fort aux amis que la vie t'a permis de rencontrer, ceux de ton adolescence à Ormesson, puis ceux des sorties dominicales à pied ou à vélo de la fin des années quarante jusqu'aux années quatre-vingts, ou, plus tard ceux des associations d'ornithologie et de défense de la nature à partir de 1975.
Il y a quatre ans, tout le monde s'était rassemblé à Bois-le-Roi à l'occasion de vos noces d'or et tu as gardé très haut le souvenir de cette fête autour de toi et de ton mari, avec toute la famille, tous les amis. Tu nous disais souvent depuis lors, il y a quelques jours encore, combien cette présence de tous ceux que tu aimes en ton honneur et celui de Jean t'avait comblée. Merci encore à Pierre-Yves d'avoir assuré l'organisation de tout cela.
Vivant souvent hors de France depuis 1978, nos échanges, au début par lettre, puis par téléphone étaient toujours pour moi enrichissants, revigorants, même quand ta santé a commencé à décliner. Et mes retours en France étaient couronnés par nos visites à Bois-le-Roi.
Qui nous donnera désormais ces conseils et ces encouragements que tu nous prodiguais à bon escient, qui nous fera ces observations sur ce que nous rapportions de nos rencontres professionnelles et amicales, sur notre vie familiale ? Même depuis que la maladie handicapait ta mémoire, tu nous as fait jusqu'au bout des remarques bien choisies auxquelles ton expérience et ton bon sens donnaient tout leur poids.
Maman, tu me le rappelais avec le sourire il y a quelques jours encore, je te disais quand j'avais quatre ans "Maman, je ne te laisserai jamais !".
C'est dur de te laisser.